Il y a quelques semaines s'est achevé le procès des viols collectifs à Créteil. Les agresseurs présumés s'en sont tirés avec des peines ridicules et humiliantes pour leurs victimes.
L'avocat des accusés (puisqu'il est apparemment difficile de parler de "coupables") a déclaré qu'on ne pouvait pas condamner quelqu'un sur simple parole.
"Sur simple parole"?
Il ne reste aucune preuve de ce que j'ai pu subir, à divers degrés et à différentes époques. Le jour même, il n'y avait pas de preuves, aussi bien avant qu'après. Si j'avais parlé, j'aurais donc appris qu'on ne peut pas condamner quelqu'un sur la simple parole d'une gamine, en dépit de la véracité des faits. Il y a même eu une fois où un type m'a embrassée de force devant témoins, personne n'a protesté, l'un d'entre eux est même venu me voir en m'assurant que ce n'était pas grave et qu'il n'avait pas fait exprès. Ca doit être pour ça qu'il m'avait bloqué les bras. J'avais dix-sept ans et j'ai appris ce jour-là que non seulement il y avait des connards, mais aussi que la famille les couvrirait au besoin parce qu'ils sont plus intéressants et plus fiables que moi.
Selon cet avocat, il doit être inutile de porter plainte des années après les faits: quel intérêt, puisqu'il n'y a plus de preuves physiques?
L'on pourrait me répliquer: "Anne, m'enfin! tout le monde sait qu'il faut porter plainte immédiatement après l'agression!"
J'aimerais pouvoir être dame Séli pour vous dire: "Vous pouvez me la refaire sans trembler des genoux, celle-là?"
Porter plainte juste après, d'accord. Seulement... si c'était si évident, pourquoi sont-elles aussi peu nombreuses à le faire? Mmh? Pourquoi? Ca vous plairait, à vous, de devoir expliquer tout ce qui est passé dans votre intimité comme si vous n'aviez pas déjà été fichu(e) à poil? Ca vous semblerait facile de descendre dans tous les détails les plus personnels, les plus organiques, dans des termes que vous n'auriez jamais songé à utiliser? Est-ce que vous envisageriez avec sérénité de faire face aux questions des flics: "Vous êtes sûre d'avoir dit non? Vous êtes sûre d'avoir crié?" quand ce n'est pas "Bon, vous ferez attention la prochaine fois..."?
Qui a besoin de ça juste après un choc?
Des associations féministes ont manifesté pour protester contre ce verdict honteux devant le ministère de la Justice.
Cependant, est-ce bien la justice française qui est en cause? Qui a rendu le verdict? Qui juge en cour d'assises? Ce n'est pas l'institution étatique. Ce sont les jurés, autrement dit, le peuple français.
Le peuple français a décidé, en son âme et conscience, d'acquitter certains prévenus et de condamner les coupables à des peines légères.
Le peuple français a donc clairement exprimé que les viols collectifs ne sont pas des crimes bien lourds. Cela revient à dire que le viol, ce n'est pas si grave, pas si humiliant, pas de quoi être traumatisé, pas la peine de punir des gens qui ne sont pas si méchants, puisque ça s'est passé il y a longtemps!
Cette complaisance ne m'étonne pas. Depuis quelques années que je m'intéresse au sujet, je constate que le pervers prédateur (qui représente une minorité des agressions) est plus lourdement condamné que le copain dont on découvre trop tard qu'il n'en est pas un ou le papa qui trouvait sa fille aguichante.
Nina a encouragé les femmes à ne pas porter plainte. Je la comprends. A quoi bon? Pourquoi s'imposer une procédure humiliante et avilissante pour la voir classée sans suite ou pour obtenir des condamnations qui ne reflètent en rien la barbarie ni la monstruosité des faits?
Ce qui est très amusant, dans ce genre d'histoires, c'est que vous trouverez toujours des bien-intentionnés pour vous dire "Mais il FAUT que tu portes plainte, sinon, tu t'en sortiras pas, et sinon, il va recommencer et ce sera ta faute!"
De victime, on devient coupable, tout de suite, de faits que non seulement on subit, mais qu'on se retrouve à commettre par procuration s'il lui venait l'envie de recommencer (parce que, vous comprenez, lui il n'a pas toute sa tête, hein. S'il recommence, c'est qu'il ne se rend pas compte de ce qu'il fait, il faut donc prendre ses responsabilité à sa place, je suppose). Qui aurait envie d'en parler ou de dénoncer dans de telles conditions?
Quand j'ai eu connaissance du verdict, j'ai ressenti cette impression trop familière: celle que l'agresseur, le pervers sera pardonné et protégé, parce que "ce n'est pas grave, il a pas fait exprès et puis, il s'en veut, maintenant".
Peuple français, toi qui rends la justice dans les tribunaux, sache que ton verdict m'enseigne une fois de plus que je ne serais pas crue, que nous ne sommes pas crues. Tu sais, j'ai écouté un grand nombre de victimes, et dans trop de récits revient la trahison de ceux qui sont censés protéger, croire et soutenir. Qu'y a-t-il d'étonnant alors à ce verdict? J'ai tort d'être surprise: la conclusion de ce procès ne fait rien d'autre que montrer le confortable je-m'en-foutisme de mes concitoyens face aux réalités des agressions sexuelles.